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Le blog de saravigotte

Esthétique la corrida? Pas pour le taureau

TRIBUNE
Descartes, la corrida et l’animal-machine
Par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Philososphe et juriste, maître de conférences au King's college de Londres — 18 octobre 2010 à 00:00

En dénonçant «la vaine rhétorique des avocats des taureaux»(Libération du 7 septembre), Francis Wolff s’en prend davantage à ma personne qu’à mes arguments et tente de me décrédibiliser dans un texte qui relève de l’injure et qui, pour cette raison, ne doit pas rester sans réponse. L’attaque contre la personne est un sophisme supplémentaire (argumentum ad hominem) - le latin n’est pas rappelé pour «faire juriste» mais pour montrer que cette stratégie est d’autant plus grossière qu’elle est ancienne. Comme je ne m’intéresse pas à la personne de monsieur Wolff, c’est à ses arguments seulement que je réagis.

L’une des manières de ridiculiser quelqu’un est de l’associer à une personne ridicule (sophisme de la mauvaise compagnie). Wolff commence donc par dire que mon «maître» Peter Singer est une sorte d’hurluberlu qui exige que l’on traite les animaux comme les hommes. C’est faux. Si Wolff avait lu son livre la Libération animale, traduit en français depuis 1993, il ne confondrait pas l’égalité de considération et l’égalité de traitement. Singer défend un «principe d’égale considération des intérêts» qui «n’exige pas que nous traitions les animaux non humains comme nous traitons les humains». Considérer également les intérêts de la poule et de l’homme ne commande pas d’apprendre à lire à la poule, mais de la laisser avec d’autres poules dans un espace suffisant où elle peut exprimer des comportements naturels (ce qui condamne de fait l’élevage industriel).

En affirmant que «ce n’est pas parce qu’il y a une tradition que la corrida est autorisée, mais là où il y a tradition», Wolff opère un glissement sémantique qui ne change strictement rien au sophisme de l’appel à la tradition, et je maintiens que cette excuse ne vaut rien. En affirmant que la corrida serait «perçue» différemment à Nîmes et considérée comme «inséparable d’une identité régionale», il présuppose en outre quelque chose qu’il serait bien en peine de devoir prouver. Il existe un moyen simple d’en avoir le cœur net : organisons des référendums locaux dans ces régions. Pourquoi n’avons-nous pas le courage démocratique des Catalans ? On découvrirait que 71% des habitants du Gard, par exemple, déclarent n’être pas attachés à la corrida (sondage Ipsos, juillet 2010). A l’échelle nationale, 66% des Français sont favorables à son abolition (Ifop, mai 2010).

En proposant ironiquement d’interdire «toutes les activités humaines qui peuvent avoir pour effet la souffrance d’un animal», comme la pêche à la ligne ou l’alimentation carnée, Wolff utilise l’argument de la pente glissante. Son but est d’inquiéter le lecteur : aujourd’hui, le «censeur» que je suis veut vous ôter la corrida, demain il s’en prendra à votre steak (sous-entendu : ne le laissez pas s’en prendre à la corrida, même si ce débat vous laisse froid, faites-le pour défendre votre steak). Rhétorique mise à part, Wolff a raison sur un point : je considère que la pêche à la ligne et l’alimentation carnée, comme toutes les activités impliquant de la souffrance, sont moralement problématiques. Et je n’ai pas besoin de guillemets pour dire que les poissons souffrent car, contrairement à lui, je ne considère pas que la seule souffrance qui mérite considération est celle de l’espèce homo sapiens.

D’un point de vue seulement quantitatif, la corrida est même un microproblème puisqu’elle tue des milliards de fois moins que la boucherie. Je défends avec autant de force l’abolition de l’élevage industriel que celle de la corrida. C’est cohérent. Mais la question n’est pas seulement celle du nombre d’individus tués : c’est aussi celle des raisons et de la manière de le faire. La corrida est un spectacle, gratuit pour les enfants de moins de 10 ans, dont la finalité n’est pas de manger, mais de tuer. A ceux qui disent que la violence de nos sociétés pose des problèmes plus graves, on demandera : que pouvons-nous raisonnablement attendre de ces enfants qui, dans les écoles de tauromachie (subventionnées par les contribuables), s’entraînent à l’arme blanche sur des veaux ? Quant aux adversaires de la corrida, ils ne souhaitent pas, contrairement à ce que prétend Wolff, envoyer les taureaux à l’abattoir. Cette race créée de toutes pièces pour nous divertir disparaîtra progressivement et l’on pourra, pour le «patrimoine», conserver quelques individus dans un musée vivant pour montrer à nos petits-enfants contre quoi se déchaînait «l’intelligence humaine».

C’est bien l’humanisme cartésien qui est ici en cause, celui qui commande à l’homme de «se rendre comme maître et possesseur de la nature». Le dualisme culture-nature, vécu comme un affrontement, a des racines chez Descartes et il n’est effectivement pas sans rapport avec le dualisme pensée-étendue. En affirmant que c’est l’âme qui sent et que les animaux en sont dénués, Descartes a permis le développement de la théorie de l’animal-machine. Celle-là même qui faisait dire à Nicolas Malebranche frappant un chien que «cela ne sent point». Les aficionados qui, aujourd’hui, affirment que le taureau «ne souffre pas», en sont les héritiers.

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer Philososphe et juriste, maître de conférences au King's college de Londres

Et question subsidiaire : L'art se doit il d'être moral? 

 

Street art, Montréal, photo Saravigotte
Street art, Montréal, photo Saravigotte
Street art, Montréal, photo Saravigotte

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