Les poètes ont parfois des muses, rarement des dieux; leurs chapelles de papier restent vides. Pourtant, s'il me fallait choisir quelque divinité pour prêter sa figure aux travaux qui m'occupent, ce ne pourrait être que Mercure: son casque et ses talons ailés illustrent le mot de Platon selon lequel le poète est "chose légère, ailée, sacrée." Plus prosaïquement : une sorte de curieuse abeille, s'en retournant vers sa ruche encombrée de livres, les pattes et les ailes tachées d'encre.

Mercure est le nom de la divinité des carrefours et des passages: sa vocation première est de relier le commun des mortels à l'Azur qu'ils convoitent. Interprète et messager, berger des vivants, conducteur des morts, patron des voleurs, il guide les âmes avec bienveillance, et règne sur les chemins où se rencontrent ces tas de pierres auxquels il doit son nom. Dieu de l'art du bien dire, il préside aux harangues et ratifie les traités d'alliance. Certaines versions de son mythe prétendent qu'il fut le premier à former une langue exacte et qu'il inventa, en plus de la lyre, les premiers caractères de l'écriture.

A ma connaissance, il n'existe pas de plus riche symbole de la poésie: mobile, préoccupée de tout, transitant sans cesse entre ce qui existe et ce qui pourrait être, creusant ou empilant les vers comme des "tas de pierres", négociant des pactes avec l'invisible, et traçant des signes, toujours vigilante, jamais en repos. Comme Mercure, le poète est un homme qui va. Son travail: "dessiner dans l'air : une figure -en chemin. Visible en chemin, seulement."

 Jean-Michel Maupoix, Extrait du texte sur les ailes de mercure et le Mercure de france

Hermes/Mercure, Rochefort, photo Saravigotte

Hermes/Mercure, Rochefort, photo Saravigotte

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